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Il résolut de ne jamais dire de mensonges à la duchesse, et c’est parce qu’il l’aimait à l’adoration en ce moment, qu’il se jura de ne jamais lui dire qu’il l’aimait ; jamais il ne prononcerait auprès d’elle le mot d’amour, puisque la passion que l’on appelle ainsi était étrangère à son cœur. Dans l’enthousiasme de générosité et de vertu qui faisait sa félicité en ce moment, il prit la résolution de lui tout dire à la première occasion : son cœur n’avait jamais connu l’amour. Une fois ce parti courageux bien adopté, il se sentit comme délivré d’un poids énorme. Elle me dira peut-être quelques mots sur Marietta : eh bien ! je ne reverrai jamais la petite Marietta, se répondit-il à lui-même avec gaieté.

La chaleur accablante qui avait régné pendant la journée commençait à être tempérée par la brise du matin. Déjà l’aube dessinait par une faible lueur blanche les pics des Alpes qui s’élèvent au nord et à l’orient du lac de Côme. Leurs masses blanchies par les neiges même au mois de juin, se dessinent sur l’azur clair d’un ciel toujours pur à ces hauteurs immenses. Une branche des Alpes s’avançant au midi vers l’heureuse Italie, sépare les versants du lac de Côme de ceux du lac de Garde. Fabrice suivait de l’œil toutes les branches de ces montagnes sublimes ; l’aube en s’éclaircissant venait marquer les vallées qui les séparent en éclairant la brume légère qui s’élevait du fond des gorges.