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mander son passe-port. À un quart de lieue de Côme, où la marquise et sa fille devaient s’arrêter pour passer la nuit, il prit un sentier à gauche, qui, contournant le bourg de Vico, se réunit ensuite à un petit chemin récemment établi sur l’extrême bord du lac. Il était minuit et Fabrice pouvait espérer de ne rencontrer aucun gendarme. Les arbres des bouquets de bois que le petit chemin traversait à chaque instant, dessinaient le noir contour de leur feuillage sur un ciel étoilé, mais voilé par une brume légère. Les eaux et le ciel étaient d’une tranquillité profonde ; l’âme de Fabrice ne put résister à cette beauté sublime ; il s’arrêta, puis s’assit sur un rocher qui s’avançait dans le lac, formant comme un petit promontoire. Le silence universel n’était troublé, à intervalles égaux, que par la petite lame du lac qui venait expirer sur la grève. Fabrice avait un cœur italien ; j’en demande pardon pour lui : ce défaut, qui le rendra moins aimable, consistait surtout en ceci : il n’avait de vanité que par accès, et l’aspect seul de la beauté sublime le portait à l’attendrissement, et était à ses chagrins leur pointe âpre et dure. Assis sur son rocher isolé, n’ayant plus à se tenir en garde contre les agents de la police, protégé par la nuit profonde et le vaste silence, de douces larmes mouillèrent ses yeux, et il trouva là, à peu de frais, les moments les plus heureux qu’il eût goûtés depuis longtemps.