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rait d’une imprudence gratuite ; la lettre vient de son altesse.

Ce problème résolu, la petite joie causée par le plaisir de deviner fut bientôt effacée par la cruelle apparition des grâces charmantes de Fabrice, qui revint de nouveau. Ce fut comme un poids énorme qui retomba sur le cœur du malheureux. Qu’importe de qui soit la lettre anonyme ! s’écria-t-il avec fureur, le fait qu’elle me dénonce en existe-t-il moins ? Ce caprice peut changer ma vie, dit-il comme pour s’excuser d’être tellement fou. Au premier moment, si elle l’aime d’une certaine façon, elle part avec lui pour Belgirate, pour la Suisse, pour quelque coin du monde. Elle est riche, et d’ailleurs, dût-elle vivre avec quelque louis chaque année, que lui importe ? Ne m’avouait elle pas, il n’y a pas huit jours, que son palais, si bien arrangé, si magnifique, l’ennuie ? Il faut du nouveau à cette âme si jeune ! Et avec quelle simplicité se présente cette félicité nouvelle ! Elle sera entraînée avant d’avoir songé au danger, avant d’avoir songé à me plaindre ! Et je suis pourtant si malheureux ! s’écria le comte fondant en larmes.

Il s’était juré de ne pas aller chez la duchesse ce soir-là, mais il n’y put tenir ; jamais ses yeux n’avaient eu une telle soif de la regarder. Sur le minuit il se présenta chez elle ; il la trouva seul avec son neveu ; à dix heures elle avait renvoyé tout le monde et fait fermer sa porte.