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en ridicule, quels regards dois-je avoir souvent ? Ah ! quelques soins que je prenne, c’est surtout mon regard qui doit être vieux en moi ! Ma gaieté n’est-elle pas toujours voisine de l’ironie ?… Je dirai plus, ici il faut être sincère : ma gaieté ne laisse-t-elle pas entrevoir, comme chose toute proche, le pouvoir absolu… et la méchanceté ? Est-ce que quelquefois je ne me dis pas à moi-même, surtout quand on m’irrite : Je puis ce que je veux ? Et même j’ajoute une sottise : Je dois être plus heureux qu’un autre, puisque je possède ce que les autres n’ont pas : le pouvoir souverain dans les trois quarts des choses… Eh bien ! soyons juste ; l’habitude de cette pensée doit gâter mon sourire… doit me donner un air d’égoïsme… content… Et comme son sourire à lui est charmant ! il respire le bonheur facile de la première jeunesse, et il le fait naître.

Par malheur pour le comte, ce soir-là le temps était chaud, étouffé, annonçant la tempête ; de ces temps, en un mot, qui, dans ces pays-là, portent aux résolutions extrêmes. Comment rapporter tous les raisonnements, toutes les façons de voir ce qui lui arrivait, qui, durant trois mortelles heures, mirent à la torture cet homme passionné ? Enfin le parti de la prudence l’emporta, uniquement par suite de cette réflexion : Je suis fou, probablement ; en croyant raisonner, je ne raisonne pas ; je me retourne seulement pour chercher une