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attention avec laquelle le jeune homme l’écoutait ; mais il y avait une objection capitale : Fabrice occupait un appartement dans le palais Sanseverina, passait sa vie avec la duchesse, laissait voir en toute innocence que cette intimité faisait son bonheur, et Fabrice avait des yeux, un teint d’une fraîcheur désespérante.

De longue main, Ranuce-Ernest IV, qui trouvait rarement de cruelles, était piqué de ce que la vertu de la duchesse, bien connue à la cour, n’avait pas fait une exception en sa faveur. Nous l’avons vu, l’esprit et la présence d’esprit de Fabrice l’avaient choqué dès le premier jour. Il prit mal l’extrême amitié que sa tante et lui se montraient à l’étourdie ; il prêta l’oreille avec une extrême attention aux propos de ses courtisans, qui furent infinis. L’arrivée de ce jeune homme et l’audience si extraordinaire qu’il avait obtenue firent pendant un mois la nouvelle et l’étonnement de la cour ; sur quoi le prince eut une idée.

Il avait dans sa garde un simple soldat qui supportait le vin d’une admirable façon ; cet homme passait sa vie au cabaret, et rendait compte de l’esprit du militaire directement au souverain. Carlone ne savait pas écrire, sans quoi depuis longtemps il eût obtenu de l’avancement. Or, sa consigne était de se trouver devant le palais tous les jours quand midi sonnait à la grande horloge. Le prince alla lui-même un peu avant midi