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— Ces principes vous étonnent, jeune homme, dit-il à Fabrice (il l’avait appelé monsignore au commencement de l’audience, et il comptait lui donner du monsignore en le congédiant, mais dans le courant de la conversation il trouvait plus adroit, plus favorable aux tournures pathétiques, de l’interpeller par un petit nom d’amitié) ; ces principes vous étonnent, jeune homme, j’avoue qu’ils ne ressemblent guère aux tartines d’absolutisme (ce fut le mot) que l’on peut lire tous les jours dans mon journal officiel… Mais, grand Dieu ! qu’est-ce que je vais vous citer là ? ces écrivains du journal sont pour vous bien inconnus.

— Je demande pardon à votre altesse sérénissime ; non seulement je lis le journal de Parme, qui me semble assez bien écrit, mais encore je tiens, avec lui, que tout ce qui a été fait depuis la mort de Louis XIV, en 1715, est à la fois un crime et une sottise. Le plus grand intérêt de l’homme, c’est son salut ; il ne peut pas y avoir deux façons de voir à ce sujet, et ce bonheur-là doit durer une éternité. Les mots liberté, justice, bonheur du plus grand nombre, sont infâmes et criminels : ils donnent aux esprits l’habitude de la discussion et de la méfiance. Une chambre des députés se défie de ce que ces gens-là appellent le ministère. Cette fatale habitude de la méfiance une fois contractée, la faiblesse humaine l’applique à tout, l’homme arrive à se méfier de la Bible, des