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l’Église ; il parlait d’aller à New-York, de se faire citoyen et soldat républicain en Amérique.

— Quelle erreur est la tienne ! Tu n’auras pas la guerre, et tu retombes dans la vie de café, seulement sans élégance, sans musique, sans amours, répliqua la duchesse. Crois-moi, pour toi comme pour moi, ce serait une triste vie que celle d’Amérique. Elle lui expliqua le culte du dieu dollar, et ce respect qu’il faut avoir pour les artisans de la rue, qui par leurs votes décident de tout. On revint au parti de l’Église.

— Avant de te gendarmer, lui dit la duchesse, comprends donc ce que le comte te demande : il ne s’agit pas du tout d’être un pauvre prêtre plus ou moins exemplaire et vertueux, comme l’abbé Blanès. Rappelle-toi ce que furent tes oncles les archevêques de Parme ; relis les notices sur leurs vies, dans le supplément à la généalogie. Avant tout il convient à un homme de ton nom d’être un grand seigneur, noble, généreux, protecteur de la justice, destiné d’avance à se trouver à la tête de son ordre… et dans toute sa vie ne faisant qu’une coquinerie, mais celle-là fort utile.

— Ainsi voilà toutes mes illusions à vau-l’eau, disait Fabrice en soupirant profondément ; le sacrifice est cruel ! je l’avoue, je n’avais pas réfléchi à cette horreur pour l’enthousiasme et l’esprit, même exercés à leur profit, qui désormais va régner parmi les souverains absolus.