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de grâces elle fit de Clélia, qu’elle appelait sa jeune amie du lac de Côme, la reine de la soirée. Son chiffre se trouva comme par hasard sur les principaux transparents. La jeune Clélia, quoique un peu pensive, fut aimable dans ses façons de parler de la petite aventure près du lac, et de sa vive reconnaissance. On la disait fort dévote et fort amie de la solitude. Je parierais, disait le comte, qu’elle a assez d’esprit pour avoir honte de son père. La duchesse fit son amie de cette jeune fille, elle se sentait de l’inclination pour elle ; elle ne voulait pas paraître jalouse, et la mettait de toutes ses parties de plaisirs ; enfin son système était de chercher à diminuer toutes les haines dont le comte était l’objet.

Tout souriait à la duchesse ; elle s’amusait de cette existence de cour où la tempête est toujours à craindre ; il lui semblait recommencer la vie. Elle était tendrement attachée au comte, qui littéralement était fou de bonheur. Cette aimable situation lui avait procuré un sang-froid parfait pour tout ce qui ne regardait que ses intérêts d’ambition. Aussi deux mois à peine après l’arrivée de la duchesse, il obtint la patente et les honneurs de premier ministre, lesquels approchent fort de ceux que l’on rend au souverain lui-même. Le comte pouvait tout sur l’esprit de son maître, on en eut à Parme une preuve qui frappa tous les esprits.