Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/197

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 161 —

dérer son âge et les soucis quelquefois fort tristes qui remplissaient sa vie. Un homme habile à qui la peur ôte l’esprit me donne une grande existence et beaucoup d’argent pour être son ministre ; mais que demain il me renvoie, je reste vieux et pauvre, c’est-à-dire tout ce qu’il y a au monde de plus méprisé ; voilà un aimable personnage à offrir à la comtesse ! Ces pensées étaient trop noires, il revint à madame Pietranera ; il ne pouvait se lasser de la regarder, et pour mieux penser à elle il ne descendait pas dans sa loge. Elle n’avait pris Nani, vient-on de me dire, que pour faire pièce à cet imbécile de Limercati qui ne voulut pas entendre à donner un coup d’épée ou à faire donner un coup de poignard à l’assassin du mari. Je me battrais vingt fois pour elle ! s’écria le comte avec transport ! À chaque instant il consultait l’horloge du théâtre qui par des chiffres éclatants de lumière et se détachant sur un fond noir avertit les spectateurs, toutes les cinq minutes, de l’heure où il leur est permis d’arriver dans une loge amie. Le comte se disait : Je ne saurais passer qu’une demi-heure tout au plus dans sa loge, moi, connaissance de si fraîche date ; si j’y reste davantage, je m’affiche, et grâce à mon âge et plus encore à ces maudits cheveux poudrés, j’aurai l’air attrayant d’un Cassandre. Mais une réflexion le décida tout à coup : Si elle allait quitter cette loge pour faire une visite, je serais bien récompensé de l’avarice