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française ; il ne savait pas oublier les chagrins. Quand son chevet avait une épine, il était obligé de la briser et de l’user à force d’y piquer ses membres palpitants. » Je demande pardon pour cette phrase, traduite de l’italien. Le lendemain de cette découverte, le comte trouva que, malgré les affaires qui l’appelaient à Milan, la journée était d’une longueur énorme ; il ne pouvait tenir en place ; il fatigua les chevaux de sa voiture. Vers les six heures, il monta à cheval pour aller au Corso ; il avait quelque espoir d’y rencontrer Mme Pietranera ; ne l’y ayant pas vue, il se rappela qu’à huit heures le théâtre de la Scala ouvrait ; il y entra et ne vit pas dix personnes dans cette salle immense. Il eut quelque pudeur de se trouver là. Est-il possible, se dit-il, qu’à quarante-cinq ans sonnés je fasse des folies dont rougirait un sous-lieutenant ! Par bonheur personne ne les soupçonne. Il s’enfuit et essaya d’user le temps en se promenant dans ces rues si jolies qui entourent le théâtre de la Scala. Elles sont occupées par des cafés qui, à cette heure, regorgent de monde ; devant chacun de ces cafés, des foules de curieux établis sur des chaises, au milieu de la rue, prennent des glaces et critiquent les passants. Le comte était un passant remarquable ; aussi eut-il le plaisir d’être reconnu et accosté. Trois ou quatre importuns, de ceux qu’on ne peut brusquer, saisirent cette occasion d’avoir audience d’un