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Ce fut dans ces dispositions qu’elle fit un voyage à Milan ; elle espérait y trouver des nouvelles plus directes de Napoléon, et, qui sait, peut-être par contre-coup des nouvelles de Fabrice. Sans se l’avouer, cette âme active commençait à être bien lasse de la vie monotone qu’elle menait à la campagne : c’est s’empêcher de mourir, se disait-elle, ce n’est pas vivre. Tous les jours voir ces figures poudrées, le frère, le neveu Ascagne, leurs valets de chambre ! Que seraient les promenades sur le lac sans Fabrice ? Son unique consolation était puisée dans l’amitié qui l’unissait à la marquise. Mais depuis quelque temps, cette intimité avec la mère de Fabrice, plus âgée qu’elle, et désespérant de la vie, commençait à lui être moins agréable.

Telle était la position singulière de Mme Pietranera : Fabrice parti, elle espérait peu de l’avenir ; son cœur avait besoin de consolation et de nouveauté. Arrivée à Milan, elle se prit de passion pour l’opéra à la mode ; elle allait s’enfermer toute seule, durant de longues heures, à la Scala, dans la loge du général Scotti, son ancien ami. Les hommes qu’elle cherchait à rencontrer pour avoir des nouvelles de Napoléon et de son armée lui semblaient vulgaires et grossiers. Rentrée chez elle, elle improvisait sur son piano jusqu’à trois heures du matin. Un soir, à la Scala, dans la loge d’une de ses amies, où elle allait chercher des nouvelles de France, on lui présenta