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sentiers de la montagne qui sépare Lugano du lac de Côme : ils se déguisèrent en chasseurs, c’est-à-dire en contrebandiers, et comme ils étaient trois et porteurs de mines assez résolues, les douaniers qu’ils rencontrèrent ne songèrent qu’à les saluer. Fabrice s’arrangea de façon à n’arriver au château que vers minuit ; à cette heure, son père et tous les valets de chambre portant de la poudre étaient couchés depuis longtemps. Il descendit sans peine dans le fossé profond et pénétra dans le château par la petite fenêtre d’une cave : c’est là qu’il était attendu par sa mère et sa tante ; bientôt ses sœurs accoururent. Les transports de tendresse et les larmes se succédèrent pendant longtemps, et l’on commençait à peine à parler raison lorsque les premières lueurs de l’aube vinrent avertir ces êtres qui se croyaient malheureux, que le temps volait.

— J’espère que ton frère ne se sera pas douté de ton arrivée, lui dit Mme Pietranera ; je ne lui parlais guère depuis sa belle équipée, ce dont son amour-propre me faisait l’honneur d’être fort piqué : ce soir à souper j’ai daigné lui adresser la parole ; j’avais besoin de trouver un prétexte pour cacher la joie folle qui pouvait lui donner des soupçons. Puis, lorsque je me suis aperçue qu’il était tout fier de cette prétendue réconciliation, j’ai profité de sa joie pour le faire boire d’une façon désordonnée, et