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Si tel n’eût pas été le but de son voyage, disait la dénonciation, à quoi bon prendre un nom supposé ? Sa mère chercherait à prouver ce qui était vrai ; c’est-à-dire : 1o qu’il n’était jamais sorti de la Suisse.

2o Qu’il avait quitté le château à l’improviste, à la suite d’une querelle avec son frère aîné.

À ce récit, Fabrice eut un sentiment d’orgueil. J’aurais été une sorte d’ambassadeur auprès de Napoléon ! se dit-il ; j’aurais eu l’honneur de parler à ce grand homme, plût à Dieu ! Il se souvint que son septième aïeul, le petit-fils de celui qui arriva à Milan à la suite de Sforce, eut l’honneur d’avoir la tête tranchée par les ennemis du duc, qui le surprirent comme il allait en Suisse porter des propositions aux louables cantons et recruter des soldats. Il voyait des yeux de l’âme l’estampe relative à ce fait, placée dans la généalogie de la famille. Fabrice, en interrogeant ce valet de chambre, le trouva outré d’un détail qui enfin lui échappa, malgré l’ordre exprès de le lui taire, plusieurs fois répété par la comtesse. C’était Ascagne, son frère aîné, qui l’avait dénoncé à la police de Milan. Ce mot cruel donna comme un accès de folie à notre héros. De Genève pour aller en Italie on passe par Lausanne ; il voulut partir à pied et sur-le-champ, et faire ainsi dix ou douze lieues, quoique la diligence de Genève à Lausanne, dût partir deux heures plus tard. Avant de sortir