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tain et sur la droite de la route. Sans descendre de cheval, et après avoir payé d’avance, il fit donner de l’avoine à son pauvre cheval, tellement affamé qu’il mordait la mangeoire. Une heure plus tard, Fabrice trottait sur la grande route, toujours dans le vague espoir de retrouver la cantinière, ou du moins le caporal Aubry. Allant toujours et regardant de tous les côtés, il arriva à une rivière marécageuse traversée par un pont en bois assez étroit. Avant le pont, sur la droite de la route, était une maison isolée portant l’enseigne du Cheval-Blanc. Là, je vais dîner, se dit Fabrice. Un officier de cavalerie avec le bras en écharpe se trouvait à l’entrée du pont ; il était à cheval et avait l’air fort triste ; à dix pas de lui, trois cavaliers à pied arrangeaient leurs pipes.

— Voilà des gens, se dit Fabrice, qui m’ont bien la mine de vouloir m’acheter mon cheval encore moins cher qu’il ne m’a coûté. L’officier blessé et les trois piétons le regardaient venir et semblaient l’attendre. Je devrais bien ne pas passer sur ce pont, et suivre le bord de la rivière à droite, ce serait la route conseillée par la cantinière pour sortir d’embarras… Oui, se dit notre héros ; mais si je prends la fuite, demain j’en serai tout honteux : d’ailleurs mon cheval a de bonnes jambes, celui de l’officier est probablement fatigué ; s’il entreprend de me démonter, je galoperai. En faisant ces raisonnements, Fabrice