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son fusil haut de la main gauche, de la droite lui jeta trois pièces de cinq francs.

— Descends, ou tu es mort… Bride le noir et va-t’en plus loin avec les deux autres. Je te brûle si tu remues…

Le soldat obéit en rechignant. Fabrice s’approcha du cheval et passa la bride dans son bras gauche, sans perdre de vue le soldat qui s’éloignait lentement ; quand Fabrice le vit à une cinquantaine de pas, il sauta lestement sur le cheval. Il y était à peine et cherchait l’étrier de droite avec le pied, lorsqu’il entendit siffler une balle de fort près : c’était le soldat qui lui lâchait son coup de fusil. Fabrice, transporté de colère, se mit à galoper sur le soldat qui s’enfuit à toutes jambes, et bientôt Fabrice le vit monté sur un de ces deux chevaux et galopant. Bon, le voilà hors de portée, se dit-il. Le cheval qu’il venait d’acheter était magnifique, mais paraissait mourant de faim. Fabrice revint sur la grande route, où il n’y avait toujours âme qui vive ; il la traversa et mit son cheval au trot pour atteindre un petit pli de terrain sur la gauche où il espérait retrouver la cantinière ; mais quand il fut au sommet de la petite montée il n’aperçut, à plus d’une lieue de distance, que quelques soldats isolés. Il est écrit que je ne la reverrai plus, se dit-il avec un soupir, brave et bonne femme ! Il gagna une ferme qu’il apercevait dans le loin-