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prison pour une faute qui aurait quelque rapport avec celle du hussard Boulot. Il pensait à son ami le curé Blanès ; que n’eût-il pas donné pour pouvoir le consulter ! Puis il se rappela qu’il n’avait pas écrit à sa tante depuis qu’il avait quitté Paris. Pauvre Gina ! se dit-il, et il avait les larmes aux yeux, lorsque tout à coup il entendit un petit bruit tout près de lui ; c’était un soldat qui faisait manger le blé par trois chevaux auxquels il avait ôté la bride, et qui semblaient morts de faim ; il les tenait par le bridon. Fabrice se leva comme un perdreau, le soldat eut peur. Notre héros le remarqua, et céda au plaisir de jouer un instant le rôle de hussard.

— Un de ces chevaux m’appartient, f… ! s’écria-t-il ; mais je veux bien te donner cinq francs pour la peine que tu as prise de me l’amener ici.

— Est-ce que tu te fiches de moi ? dit le soldat. Fabrice le mit en joue à six pas de distance.

— Lâche le cheval ou je te brûle !

Le soldat avait son fusil en bandoulière, il donna un tour d’épaule pour le reprendre.

— Si tu fais le plus petit mouvement, tu es mort ! s’écria Fabrice en lui courant dessus.

— Eh bien ! donnez les cinq francs et prenez un des chevaux, dit le soldat confus, après avoir jeté un regard de regret sur la grande route où il n’y avait absolument personne. Fabrice, tenant