Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/108

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 72 —

min en contre-bas, on traversait un petit pré, on allait ventre à terre, les boulets arrivaient de nouveau ; le maréchal se porta vers une division de cavalerie. L’escorte se trouvait au milieu de cadavres et de blessés ; mais ce spectacle ne faisait déjà plus autant d’impression sur notre héros : il avait autre chose à penser.

Pendant que l’escorte était arrêtée, il aperçut la petite voiture d’une cantinière, et sa tendresse pour ce corps respectable l’emportant sur tout, il partit au galop pour la rejoindre.

— Restez donc, s… ! lui cria le maréchal-des-logis.

Que peut-il me faire ici ? pensa Fabrice, et il continua de galoper vers la cantinière. En donnant de l’éperon à son cheval, il avait eu quelque espoir que c’était sa bonne cantinière du matin ; les chevaux et les petites charrettes se ressemblaient fort, mais la propriétaire était tout autre, et notre héros lui trouva l’air fort méchant. Comme il l’abordait, Fabrice l’entendit qui disait : — Il était pourtant bien bel homme ! Un fort vilain spectacle attendait là le nouveau soldat : on coupait la cuisse à un cuirassier, beau jeune homme de cinq pieds dix pouces. Fabrice ferma les yeux et but coup sur coup quatre verres d’eau-de-vie.

— Comme tu y vas, gringalet ! s’écria la cantinière. L’eau-de-vie lui donna une idée : Il faut