il était retenu par la pêche des truites. Par bonheur, le joli petit palais que le comte M *** avait loué pour la belle Fausta était situé à l’extrémité méridionale de la ville de Parme, précisément sur la route de Sacca, et les fenêtres de la Fausta donnaient sur les belles allées de grands arbres qui s’étendent sous la haute tour de la citadelle. Fabrice n’était point connu dans ce quartier désert ; il ne manqua pas de faire suivre le comte M ***, et, un jour que celui-ci venait de sortir de chez l’admirable cantatrice, il eut l’audace de paraître dans la rue en plein jour ; à la vérité, il était monté sur un excellent cheval, et bien armé. Des musiciens, de ceux qui courent les rues en Italie, et qui parfois sont excellents, vinrent planter leurs contrebasses sous les fenêtres de la Fausta : après avoir préludé, ils chantèrent assez bien une cantate en son honneur. La Fausta se mit à la fenêtre, et remarqua facilement un jeune homme fort poli qui, arrêté à cheval au milieu de la rue, la salua d’abord, puis se mit à lui adresser des regards fort peu équivoques. Malgré le costume anglais exagéré adopté par Fabrice, elle eut bientôt reconnu l’auteur des lettres passionnées qui avaient amené son départ de Bologne. « Voilà un être singulier, se dit-elle, il me semble que je vais l’aimer. J’ai cent louis devant moi, je puis fort bien planter là ce terrible comte M ***. Au fait, il manque d’esprit et d’imprévu, et n’est un peu amusant que par la mine atroce de ses gens. »
Le lendemain, Fabrice ayant appris que tous les jours, vers les onze heures, la Fausta allait entendre la messe au centre de la ville, dans cette même église de Saint-Jean où se trouvait le tombeau de son grand-oncle, l’archevêque Ascanio del Dongo, il osa l’y suivre. A la vérité, Ludovic lui avait procuré une belle perruque anglaise avec des cheveux du plus beau rouge. A propos de la couleur de ces cheveux, qui était celle des flammes qui brûlaient son cœur, il fit un sonnet que la Fausta trouva charmant ; une main inconnue avait eu soin de le placer sur son piano. Cette petite guerre dura bien huit jours, mais Fabrice trouvait que, malgré ses démarches de tout genre, il ne faisait pas de progrès réels ; la Fausta refusait de le recevoir. Il outrait la nuance de singularité ; elle a dit depuis qu’elle avait peur de lui. Fabrice n’était plus retenu que par un reste d’espoir d’arriver à sentir ce qu’on appelle de l’amour, mais souvent il s’ennuyait.
— Monsieur, allons-nous-en, lui répétait Ludovic, vous n’êtes point amoureux ; je vous vois un sang-froid et un bon sens désespérants. D’ailleurs vous n’avancez point ; par pure vergogne, décampons.
Fabrice allait partir au premier moment d’humeur, lorsqu’il apprit que la Fausta devait chanter chez la duchesse Sanseverina. « Peut-être que cette voix sublime achèvera d’enflammer mon cœur », se dit-il ; et il osa bien s’introduire déguisé dans ce palais où tous les yeux le connaissaient. Qu’on juge