s’écria la duchesse les larmes aux yeux. Le voici de retour… — Et j’en ai plus de joie que vous, vous pouvez le croire, répliqua le ministre, d’un grand sérieux ; mais enfin pourquoi ce cruel enfant ne m’a-t-il pas demandé un passeport sous un nom convenable puisqu’il voulait pénétrer en Lombardie ? A la première nouvelle de son arrestation je serais parti pour Milan, et les amis que j’ai dans ce pays-là auraient bien voulu fermer les yeux et supposer que leur gendarmerie avait arrêté un sujet du prince de Parme. Le récit de votre course est gracieux, amusant, j’en conviens volontiers, répliqua le comte en reprenant un ton moins sinistre, votre sortie du bois sur la grande route me plaît assez ; mais entre nous, puisque ce valet de chambre tenait votre vie entre ses mains, vous aviez le droit de prendre la sienne. Nous allons faire à Votre Excellence une fortune brillante, du moins voici Madame qui me l’ordonne, et je ne crois pas que mes plus grands ennemis puissent m’accuser d’avoir jamais désobéi à ses commandements. Quel chagrin mortel pour elle et pour moi si dans cette espèce de course au clocher que vous venez de faire avec ce cheval maigre, il eût fait un faux pas. Il eût presque mieux valu, ajouta le comte, que ce cheval vous cassât le cou.
— Vous êtes bien tragique ce soir, mon ami, dit la duchesse tout émue.
— C’est que nous sommes environnés d’événements tragiques, répliqua le comte aussi avec émotion ; nous ne sommes pas ici en France, où tout finit par des chansons ou par un emprisonnement d’un an ou deux ; et j’ai réellement tort de vous parler de toutes ces choses en riant. Ah çà ! mon petit neveu, je suppose que je trouve jour à vous faire évêque, car bonnement je ne puis pas commencer par l’archevêché de Parme, ainsi que le veut, très raisonnablement, Mme la duchesse ici présente ; dans cet évêché où vous serez loin de nos sages conseils, dites-nous un peu quelle sera votre politique ?
— Tuer le diable plutôt qu’il ne me tue, comme disent fort bien mes amis les Français, répliqua Fabrice avec des yeux ardents ; conserver par tous les moyens possibles, y compris le coup de pistolet, la position que vous m’aurez faite. J’ai lu dans la généalogie des del Dongo l’histoire de celui de nos ancêtres qui bâtit le château de Grianta. Sur la fin de sa vie, son bon ami Galéas, duc de Milan l’envoie visiter un château fort sur notre lac ; on craignait une nouvelle invasion de la part des Suisses. « Il faut pourtant que j’écrive un mot de politesse au commandant », lui dit le duc de Milan en le congédiant. Il écrit et lui remet une lettre de deux lignes ; puis il la lui redemande pour la cacheter. « Ce sera plus poli », dit le prince. Vespasien del Dongo part, mais en naviguant sur le lac, il se souvient d’un