Pierre Daru l’avait pris pour aide-secrétaire, et, décidé à favoriser sa fortune, bien qu’il fût choqué de lui voir écrire cela avec deux l, il l’appela en Italie. C’est le 7 mai 1800 que Beyle quitta Paris pour cette terre promise qu’il devait tant aimer. Au fort de Bard, dans les Alpes, il reçoit le baptême du feu avec un mélange de crainte, de joie et de désappointement dont il se souviendra en racontant Waterloo. Puis ce sont les étapes glorieuses à travers la Sardaigne et la Lombardie, dans une atmosphère d’enthousiasme. Il l’a dit, l’Italie était alors « amoureuse » de ses libérateurs. Il fut amoureux de l’Italie révélatrice. Novare, où il va entendre le Matrimonio segreto de Cimarosa, lui révèle la musique : il en restera fou toute sa vie. Milan lui réservait d’autres découvertes et d’autres joies. Là il approche quelques femmes séduisantes et sans préjugé, admire la comtesse Gherardi, s’éprend sans le dire de la belle Angela Pietragrua et s’amuse éperdument en gaie compagnie. Cependant les démarches multipliées de son protecteur lui valent d’être nommé lieutenant au 6e dragons. Mais il se dégoûte vite de l’armée, et, bien qu’il ait entendu le canon de Marengo, combattu à Castelfranco et fait la campagne de Mantoue, il démissionne et reprend, par Grenoble, le chemin de Paris.
Nous sommes en 1802. Le voici de nouveau sans situation et tâtant des lettres pour s’en créer une, projetant des tragédies qu’il ne commence pas, esquissant des comédies qu’il n’achève jamais, homme de théâtre surtout par une fréquentation assidue des coulisses, où Martial Daru l’introduit. Outre son esprit et sa jeunesse, il s’y recommande de son physique de « lion » — grand, fort, sanguin, d’épais cheveux frisés et des yeux de feu — et aussi d’une élégance méticuleuse, vouée aux bas de soie, au triple jabot et à l’habit bronze-cannelle. C’est l’époque de sa grande passion pour une apprentie-tragédienne, la petite Louason, de son vrai nom Mélanie Guilbert, qui se joue de ce grand séducteur et l’entraîne jusqu’à Marseille, où elle a trouvé un engagement. Beyle, pour y vivre, dut se faire employé de commerce : la pension paternelle, portée à 200, puis à 300 francs, lui était servie sans la moindre régularité. Malgré les joies du négoce et le cœur qu’il avait à l’ouvrage, il fut trop heureux de revenir à Paris — après Louason, dont un seigneur russe fixa le sort — et d’obtenir, par l’entremise bougonne, mais