Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instant, cette sensation ne te fait pas horreur ?

— Je pensais à la mort, répondait Fabrice, comme je suppose qu’y pensent les soldats : c’était une chose possible que je pensais bien éviter par mon adresse.

Ainsi quelle inquiétude, quelle douleur pour la duchesse ! Cet être adoré, singulier, vif, original, était désormais sous ses yeux en proie à une rêverie profonde ; il préférait la solitude même au plaisir de parler de toutes choses, et à cœur ouvert, à la meilleure amie qu’il eût au monde. Toujours il était bon, empressé, reconnaissant auprès de la duchesse, il eût comme jadis donné cent fois sa vie pour elle ; mais son âme était ailleurs. On faisait souvent quatre ou cinq lieues sur ce lac sublime sans se dire une parole. La conversation, l’échange de pensées froides désormais possible entre eux, eût peut-être semblé agréable à d’autres ; mais eux se souvenaient encore, la duchesse surtout, de ce qu’était leur conversation avant ce fatal combat avec Giletti qui les avait séparés. Fabrice devait à la duchesse l’histoire des neuf mois passés dans une horrible prison, et il se trouvait que sur ce séjour il n’avait à dire que des paroles brèves et incomplètes.

Voilà ce qui devait arriver tôt ou tard,