Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous, envoyant de l’argent à son ami en prison, croit se ruiner en lui donnant dix sequins ; moi, je veux que Fabrice reçoive ces six mille francs, et surtout que le château ne sache rien de cet envoi.

Comme le Rassi effrayé voulait répliquer, le comte ferma la porte sur lui avec impatience. Ces gens-là, se dit-il, ne voient le pouvoir que derrière l’insolence. Cela dit, ce grand ministre se livra à une action tellement ridicule, que nous avons quelque peine à la rapporter ; il courut prendre dans son bureau un portrait en miniature de la duchesse, et le couvrit de baisers passionnés. Pardon, mon cher ange, s’écriait-il, si je n’ai pas jeté par la fenêtre et de mes propres mains ce cuistre qui ose parler de toi avec une nuance de familiarité, mais, si j’agis avec cet excès de patience, c’est pour t’obéir et il ne perdra rien pour attendre !

Après une longue conversation avec le portrait, le comte, qui se sentait le cœur mort dans la poitrine, eut l’idée d’une action ridicule et s’y livra avec un empressement d’enfant. Il se fit donner un habit avec des plaques, et fut faire une visite à la vieille princesse Isota ; de la vie il ne s’était présenté chez elle qu’à l’occasion du jour de l’an. Il la trouva entourée d’une quantité de chiens, et parée de tous