Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son cœur de seize ans. Elle ne concevait pas comment elle avait pu passer tant d’années sans revoir le lac. Est-ce donc au commencement de la vieillesse, se disait-elle, que le bonheur se serait réfugié ? Elle acheta une barque que Fabrice, la marquise et elle ornèrent de leurs mains, car on manquait d’argent pour tout, au milieu de l’état de maison le plus splendide ; depuis sa disgrâce le marquis del Dongo avait redoublé de faste aristocratique. Par exemple, pour gagner dix pas de terrain sur le lac, près de la fameuse allée de platanes, à côté de la Cadenabia, il faisait construire une digue dont le devis allait à quatre-vingt mille francs. À l’extrémité de la digue on voyait s’élever, sur les dessins du fameux marquis Cagnola, une chapelle bâtie tout entière en blocs de granit énormes, et, dans la chapelle, Marchesi, le sculpteur à la mode de Milan, lui bâtissait un tombeau sur lequel des bas-reliefs nombreux devaient représenter les belles actions de ses ancêtres.

Le frère aîné de Fabrice, le marchesine Ascagne, voulut se mettre des promenades de ces dames ; mais sa tante jetait de l’eau sur ses cheveux poudrés, et avait tous les jours quelque nouvelle niche à lancer à sa gravité. Enfin il délivra de l’aspect de sa grosse figure blafarde la joyeuse troupe qui