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songeaient plutôt à se venger de la moindre insulte par un coup de poignard qu’à jouir du moment présent.

La joie folle, la gaieté, la volupté, l’oubli de tous les sentiments tristes, ou seulement raisonnables, furent poussés à un tel point, depuis le 15 mai 1796, que les Français entrèrent à Milan, jusqu’en avril 1799, qu’ils en furent chassés à la suite de la bataille de Cassano, que l’on a pu citer de vieux marchands millionnaires, de vieux usuriers, de vieux notaires qui, pendant cet intervalle, avaient oublié d’être moroses et de gagner de l’argent.

Tout au plus eût-il été possible de compter quelques familles appartenant à la haute noblesse, qui s’étaient retirées dans leurs palais à la campagne, comme pour bouder contre l’allégresse générale et l’épanouissement de tous les cœurs. Il est véritable aussi que ces familles nobles et riches avaient été distinguées d’une manière fâcheuse dans la répartition des contributions de guerre demandées pour l’armée française.

Le marquis del Dongo, contrarié de voir tant de gaieté, avait été un des premiers à regagner son magnifique château de Grianta, au delà de Côme, où les dames menèrent le lieutenant Robert. Ce château, situé dans une position peut-être