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de la protection évidente dont il était entouré depuis qu’il avait eu le malheur de tuer Giletti. Le danger qui le faisait encore frémir, c’était d’être reconnu dans le bureau de police de Casal-Maggiore. Comment, se disait-il, ce commis, dont les yeux marquaient tant de soupçons et qui a relu mon passe-port jusqu’à trois fois, ne s’est-il pas aperçu que je n’ai pas cinq pieds dix pouces, que je n’ai pas trente-huit ans, que je ne suis pas fort marqué de la petite vérole ? Que de grâces je vous dois, ô mon Dieu ! Et j’ai pu tarder jusqu’à ce moment de mettre mon néant à vos pieds ! Mon orgueil a voulu croire que c’était à une vaine prudence humaine que je devais le bonheur d’échapper au Spielberg qui déjà s’ouvrait pour m’engloutir !

Fabrice passa plus d’une heure dans cet extrême attendrissement, en présence de l’immense bonté de Dieu. Ludovic s’approcha sans qu’il l’entendît venir, et se plaça en face de lui, Fabrice, qui avait le front caché dans ses mains, releva la tête, et son fidèle serviteur vit les larmes qui sillonnaient ses joues.

— Revenez dans une heure, lui dit Fabrice assez durement.

Ludovic pardonna ce ton à cause de la piété. Fabrice récita plusieurs fois les sept psaumes de la pénitence, qu’il savait par