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à cinq pieds dix pouces comme l’énonçait le passe-port ; il avait près de vingt-quatre ans et paraissait plus jeune, Giletti en avait trente-neuf. Nous avouerons que notre héros se promena une grande de heure sur une contre-digue du Pô voisine du pont de barques, avant de se décider à y descendre. Que conseillerais-je à un autre qui se trouverait à ma place ? se dit-il enfin. Évidemment de passer : il y a péril à rester dans l’état de Parme ; un gendarme peut être envoyé à la poursuite de l’homme qui en a tué un autre, fût-ce même à son corps défendant. Fabrice fit la revue de ses poches, déchira tous les papiers et ne garda exactement que son mouchoir et sa boîte à cigares ; il lui importait d’abréger l’examen qu’il allait subir. Il pensa à une terrible objection qu’on pourrait lui faire et à laquelle il ne trouvait que de mauvaises réponses : il allait dire qu’il s’appelait Giletti et tout son linge était marqué F. D.

Comme on voit, Fabrice était un de ces malheureux tourmentés par leur imagination ; c’est assez le défaut des gens d’esprit en Italie. Un soldat français d’un courage égal ou même inférieur se serait présenté pour passer sur le pont tout de suite, et sans songer d’avance à aucune difficulté ; mais aussi il y aurait porté