Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne put résister à cette beauté sublime ; il s’arrêta, puis s’assit sur un rocher qui s’avançait dans le lac, formant comme un petit promontoire. Le silence universel n’était troublé, à intervalles égaux, que par la petite lame du lac qui venait expirer sur la grève. Fabrice avait un cœur italien ; j’en demande pardon pour lui ; ce défaut, qui le rendra moins aimable, consistait surtout en ceci : il n’avait de vanité que par accès, et l’aspect seul de la beauté sublime le portait à l’attendrissement, et ôtait à ses chagrins leur pointe âpre et dure. Assis sur son rocher isolé, n’ayant plus à se tenir en garde contre les agents de la police, protégé par la nuit profonde et le vaste silence, de douces larmes mouillèrent ses yeux, et il trouva là, à peu de frais, les moments les plus heureux qu’il eût goûtés depuis longtemps.

Il résolut de ne jamais dire de mensonges à la duchesse, et c’est parce qu’il l’aimait à l’adoration en ce moment, qu’il se jura de ne jamais lui dire qu’il l’aimait ; jamais il ne prononcerait auprès d’elle le mot d’amour, puisque la passion que l’on appelle ainsi était étrangère à son cœur. Dans l’enthousiasme de générosité et de vertu qui faisait sa félicité en ce moment, il prit la résolution de lui tout dire à la première occasion : son cœur n’avait jamais connu