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troisième rang ; de là son regard pourrait plonger, sans être remarqué de personne, sur la loge des secondes où il espérait voir arriver la comtesse. Deux grandes heures d’attente ne parurent point trop longues à cet amoureux ; sûr de n’être point vu, il se livrait avec bonheur à toute sa folie. La vieillesse, se disait-il, n’est-ce pas, avant tout, n’être plus capable de ces enfantillages délicieux ?

Enfin la comtesse parut. Armé de sa lorgnette, il l’examinait avec transport : Jeune, brillante, légère comme un oiseau, se disait-il, elle n’a pas vingt-cinq ans. Sa beauté est son moindre charme ; où trouver ailleurs cette âme toujours sincère, qui jamais n’agit avec prudence, qui se livre tout entière à l’impression du moment, qui ne demande qu’à être entraînée par quelque objet nouveau ? Je conçois les folies du comte Nani.

Le comte se donnait d’excellentes raisons pour être fou, tant qu’il ne songeait qu’à conquérir le bonheur qu’il voyait sous ses yeux. Il n’en trouvait plus d’aussi bonnes quand il venait à considérer son âge et les soucis quelquefois fort tristes qui remplissaient sa vie. Un homme habile à qui la peur ôte l’esprit me donne une grande existence et beaucoup d’argent pour être son ministre ; mais que demain il me