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reux qu’un autre et trouvait les bourgeois ridicules. Jamais il n’avait ouvert un livre depuis le collège, où il n’avait lu que des livres arrangés par les jésuites. Il s’établit à quelque distance de Romagnan, dans un palais magnifique, l’un des chefs-d’œuvre du fameux architecte San-Micheli ; mais depuis trente ans on ne l’avait pas habité, de sorte qu’il pleuvait dans toutes les pièces et pas une fenêtre ne fermait. Il s’empara des chevaux de l’homme d’affaires, qu’il montait sans façon toute la journée ; il ne parlait point, et réfléchissait. Le conseil de prendre une maîtresse dans une famille ultra lui parut plaisant et il le suivit à la lettre. Il choisit pour confesseur un jeune prêtre intrigant qui voulait devenir évêque (comme le confesseur du Spielberg)[1] ; mais il faisait trois lieues à pied et s’enveloppait d’un mystère qu’il croyait impénétrable, pour lire le Constitutionnel, qu’il trouvait sublime : cela est aussi beau qu’Alfieri et le Dante ! s’écriait-il souvent. Fabrice avait cette ressemblance avec la jeunesse française qu’il s’occupait beaucoup plus sérieusement de son cheval et de son journal que de sa maîtresse bien pensante. Mais il n’y avait pas encore de place pour l’imitation des autres dans cette âme naïve

  1. Voir les curieux Mémoires de M. Andryane, amusants comme un conte, et qui resteront comme Tacite.