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il voyait les fuyards qui commençaient à disparaître derrière les arbres, et couraient toujours. Voilà qui est bien singulier se dit-il ; et, se rappelant la manœuvre employée la veille par le caporal, il alla s’asseoir au milieu d’un champ de blé. Il ne s’éloignait pas, parce qu’il désirait revoir ses bons amis, la cantinière et le caporal Aubry.

Dans ce blé, il vérifia qu’il n’avait plus que dix-huit napoléons, au lieu de trente comme il le pensait ; mais il lui restait de petits diamants qu’il avait placés dans la doublure des bottes du hussard, le matin, dans la chambre de la geôlière, à B***. Il cacha ses napoléons du mieux qu’il put, tout en réfléchissant profondément à cette disparition si soudaine. Cela est-il d’un mauvais présage pour moi ? se disait-il. Son principal chagrin était de ne pas avoir adressé cette question au caporal Aubry : Ai-je réellement assisté à une bataille ? Il lui semblait que oui, et il eût été au comble du bonheur s’il en eût été certain.

Toutefois, se dit-il, j’y ai assisté portant le nom d’un prisonnier, j’avais la feuille de route d’un prisonnier dans ma poche, et, bien plus, son habit sur moi ! Voilà qui est fatal pour l’avenir ? qu’en eût dit l’abbé Blanès ? Et ce malheureux Boulot est mort en prison ! Tout cela est de sinis-