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Tout se passa comme l’avait prévu le commandant en chef, seulement Fabrice insista pour qu’on ne reprît pas de vive force les cinq francs qu’il avait donnés au paysan.

— L’argent est à moi, dit-il à ses camarades je ne paie pas pour vous, je paie pour l’avoine qu’il a donnée à mon cheval.

Fabrice prononçait si mal le français, que ses camarades crurent voir dans ses paroles un ton de supériorité ; ils furent vivement choqués, et dès lors dans leur esprit un duel se prépara pour la fin de la journée. Ils le trouvaient fort différent d’eux-mêmes, ce qui les choquait ; Fabrice au contraire commençait à se sentir beaucoup d’amitié pour eux.

On marchait sans rien dire depuis deux heures, lorsque le caporal, regardant la grande route, s’écria avec un transport de joie : Voici le régiment ! On fut bientôt sur la route ; mais, hélas ! autour de l’aigle il n’y avait pas deux cents hommes. L’œil de Fabrice eut bientôt aperçu la vivandière : elle marchait à pied, avait les yeux rouges et pleurait de temps à autre. Ce fut en vain que Fabrice chercha la petite charrette et Cocotte.

— Pillés, perdus, volés, s’écria la vivandière répondant aux regards de notre héros. Celui-ci, sans mot dire, descendit