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d’un torrent entendu dans le lointain.

— Ce sont comme des moutons qui se sauvent, dit Fabrice au caporal, d’un air naïf.

— Veux-tu bien te taire, blanc-bec ! dit le caporal indigné ; et les trois soldats qui composaient toute son armée avec Fabrice regardèrent celui-ci d’un air de colère, comme s’il eût blasphémé. Il avait insulté la nation.

Voilà qui est fort ! pensa notre héros j’ai déjà remarqué cela chez le vice-roi à Milan ; ils ne fuient pas, non ! Avec ces Français il n’est pas permis de dire la vérité quand elle choque leur vanité. Mais quant à leur air méchant je m’en moque, et il faut que je le leur fasse comprendre. On marchait toujours à cinq cents pas de ce torrent de fuyards qui couvraient la grande-route. À une lieue de là le caporal et sa troupe traversèrent un chemin qui allait rejoindre la route et où beaucoup de soldats étaient couchés. Fabrice acheta un cheval assez bon qui lui coûta quarante francs, et parmi tous les sabres jetés de côté et d’autre, il choisit avec soin un grand sabre droit. Puisqu’on dit qu’il faut piquer, pensa-t-il, celui-ci est le meilleur. Ainsi équipé il mit son cheval au galop et rejoignit bientôt le caporal qui avait pris les devants. Il s’affermit sur ses étriers,