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sentir plus vivement : il mourait de faim. Ce fut donc avec une joie extrême qu’après avoir marché, ou plutôt couru pendant dix minutes, il s’aperçut que le corps d’infanterie, qui allait très-vite aussi, s’arrêtait comme pour prendre position. Quelques minutes plus tard, il se trouvait au milieu des premiers soldats.

— Camarades, pourriez-vous me vendre un morceau de pain ?

— Tiens, cet autre qui nous prend pour des boulangers !

Ce mot dur et le ricanement général qui le suivit accablèrent Fabrice. La guerre n’était donc plus ce noble et commun élan d’âmes amantes de la gloire qu’il s’était figuré d’après les proclamations de Napoléon. Il s’assit, ou plutôt se laissa tomber sur le gazon ; il devint très-pâle. Le soldat qui lui avait parlé, et qui s’était arrêté à dix pas pour nettoyer la batterie de son fusil avec son mouchoir, s’approcha et lui jeta un morceau de pain ; puis, voyant qu’il ne le ramassait pas, le soldat lui mit un morceau de ce pain dans la bouche. Fabrice ouvrit les yeux, et mangea ce pain sans avoir la force de parler. Quand enfin il chercha des yeux le soldat pour le payer, il se trouva seul, les soldats les plus voisins de lui étaient éloignés de cent pas et marchaient. Il se leva machina-