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papiers — et sa pensée — profanés aussitôt après sa mort, et il a été sans cesse hanté par le souci de laisser derrière lui sa pensée incomprise. Il note le 1er juin 1810[1] : « Si un indiscret lit ce journal, je veux lui ôter le plaisir de se moquer de moi en lui faisant remarquer que ce doit être un procès-verbal mathématique et inflexible de ma manière d’être, ne flattant ni ne médisant, mais énonçant purement et sévèrement ce que je crois qui a été. Il est destiné à me guérir de mes ridicules quand je le relirai en 1820. C’est une partie de ma conscience intime écrite, et ce qui en vaut le mieux, ce qui a été senti aux sons de la musique de Mozart, en lisant le Tasse, en étant réveillé par un orgue des rues, en donnant le bras à ma maîtresse du moment, ne s’y trouve pas[2]. Ainsi, je vous en prie à genoux, ne vous moquez pas de moi. »

Il se sent au surplus très différent des autres, et dès le 31 décembre 1804 il recherche the happy few : « Voilà ce public choisi et peu nombreux à qui il faut plaire ; le cercle part de là, se resserre peu à peu et finit par moi. Je pourrais faire un ouvrage qui ne plairait qu’à moi et qui serait reconnu beau en 2.000. »

Stendhal note encore très finement que, si son

  1. Cet « avis » est écrit sur la couverture du cahier contenant le journal du 9 mai au 12 août 1810.
  2. Il écrivait déjà le 1er septembre 1806 : « Souvent on gâte le plaisir en le décrivant. »