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fois un peu fate, mais surtout (et c’est là l’inestimable) une sincérité absolue. Au jour le jour, pendant des années, Henri Beyle a accumulé une masse énorme d’observations écrites pour lui seul[1], qu’il n’a généralement jamais, ou presque jamais, relues, et dont on retrouvera cependant le suc médullaire dans ses grandes œuvres, le Rouge et le Noir et la Chartreuse de Parme, et plus encore peut-être dans Lucien Leuwen. C’est la matière première, sans tri ni contrôle, qu’on entasse pêle-mêle dans un coin et dont on retrouve comme par hasard, très longtemps après, les parties les plus brillantes et les plus solides.

La matière première, pour Henri Beyle, c’est l’homme tout entier, l’homme intellectuel, moral et physique — ou plutôt ce qui dans l’homme physique annonce et dénonce le jeu de l’intelligence, des sentiments et des passions[2]. Et en même temps qu’il observe les autres, Stendhal ne manque pas de s’examiner lui-même. Car le meilleur outil pour le psychologue, c’est encore son propre cœur et sa propre intelligence. Aussi

  1. Journal du 25 août 1818 : « Un tel journal n’est fait que pour celui qui l’écrit. »
  2. Hors de là, le contact des hommes lui est vite fastidieux. « Cela vient, confesse-t-il, d’une habitude à moi donnée par l’envie de me perfectionner dans l’art de connaître et d’émouvoir l’homme. Je regarde comme perdue toute journée dans laquelle je ne m’instruis pas. » (Journal du 15 avril 1806.)