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âge, et de la féodalité où la force était tout, nous voyons le sexe le plus faible moins tyrannisé qu’il ne l’est légalement aujourd’hui ; nous voyons les pauvres et faibles créatures qui ont le plus à perdre en amour et dont les agréments disparaissent le plus vite, maîtresses du destin des hommes qui les approchent. Un exil de trois ans en Palestine, le passage d’une civilisation pleine de gaieté au fanatisme et à l’ennui d’un camp de croisés devaient être pour tout autre qu’un chrétien exalté, une corvée fort pénible. Que peut faire à son amant une femme lâchement abandonnée par lui à Paris ?

Il n’y a qu’une réponse que je vois d’ici : aucune femme de Paris qui se respecte n’a d’amant. On voit que la prudence a droit de conseiller bien plus aux femmes d’aujourd’hui de ne pas se livrer à l’amour-passion. Mais une autre prudence qu’assurément je suis loin d’approuver, ne leur conseille-t-elle pas de se venger avec l’amour physique ? Nous avons gagné à notre hypocrisie et à notre ascétisme[1], non pas un hommage rendu à la vertu, l’on ne contredit jamais impunément la nature, mais qu’il y a moins de bonheur sur la terre et infiniment moins d’inspirations généreuses.

Un amant qui, après dix ans d’intimité,

  1. Principe ascétique de Jérémie Bentham.