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voir tous les jours. Tout ce qui nous reste de cette singulière civilisation est en vers et en vers rimés de la manière la plus baroque et la plus difficile ; il ne faut pas s’étonner si les notions que nous tirons des ballades des troubadours sont vagues et peu précises. On a trouvé jusqu’à un contrat de mariage en vers. Après la conquête, en 1328, pour cause d’hérésie, les papes prescrivirent à plusieurs reprises de brûler tout ce qui était écrit dans la langue vulgaire. L’astuce italienne proclamait le latin la seule langue digne de gens aussi spirituels. Ce serait une mesure bien avantageuse si l’on pouvait la renouveler en 1822.

Tant de publicité et d’officiel dans l’amour semblent au premier aspect ne pas s’accorder avec la vraie passion. Si la dame disait à son servant : Allez pour l’amour de moi visiter la tombe de notre Seigneur Jésus-Christ à Jérusalem, vous y passerez trois ans et reviendrez ensuite ; l’amant partait aussitôt : hésiter un instant l’aurait couvert de la même ignominie qu’aujourd’hui une faiblesse sur le point d’honneur. La langue de ces gens-là a une finesse extrême pour rendre les nuances les plus fugitives du sentiment. Une autre marque que ces mœurs étaient fort avancées sur la route de la véritable civilisation, c’est qu’à peine sortis des horreurs du moyen