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enfin au moment de recueillir le fruit de tant de soins et d’un si long esprit d’ordre, il ne se trouve plus de vie de reste pour jouir.

On dirait que les enfants de Penn n’ont jamais lu ce vers qui semble leur histoire :

Et propter vitam, vivendi perdere causas.

Les jeunes gens des deux sexes lorsque l’hiver est venu, qui comme en Russie est la saison gaie du pays, courent ensemble en traîneaux sur la neige le jour et la nuit, ils font des courses de quinze ou vingt milles fort gaiement et sans personne pour les surveiller ; et il n’en résulte jamais d’inconvénient.

Il y a la gaieté physique de la jeunesse qui passe bientôt avec la chaleur du sang et qui est finie à vingt-cinq ans : je ne vois pas les passions qui font jouir. Il y a tant d’habitude de raison aux États-Unis, que la cristallisation en a été rendue impossible.

J’admire ce bonheur et ne l’envie pas ; c’est comme le bonheur d’êtres d’une espèce différente et inférieure. J’augure beaucoup mieux des Florides et de l’Amérique méridionale[1].

  1. Voir les mœurs des Îles Açores : l’amour de Dieu et l’autre amour y occupent tous les instants. La religion chrétienne interprétée par les jésuites est beaucoup moins ennemie de l’homme, en ce sens, que le protestantisme anglais ; elle permet au moins de danser le dimanche ; et un jour de plaisir sur sept, c’est beaucoup pour le cultivateur qui travaille assidûment les six autres.