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quante-quatre ans. Je suis sorti attendri de la loge de ces aimables vieillards ; voilà l’art d’être heureux, art ignoré de tant de jeunes gens.

Il y a deux mois que j’ai vu monsignor R*** duquel j’ai été bien reçu parce que je lui portais des Minerves. Il était à sa maison de campagne avec Mme D. qu’il avvicina, comme on dit, depuis trente-quatre ans. Elle est encore belle, mais il y a un fond de mélancolie dans ce ménage, on l’attribue à la perte d’un fils empoisonné autrefois par le mari.

Ici, faire l’amour n’est pas, comme à Paris, voir sa maîtresse un quart d’heure toutes les semaines, et, le reste du temps, accrocher un regard ou un serrement de main : l’amant, l’heureux amant, passe quatre ou cinq heures de chacune de ses journées avec la femme qu’il aime. Il lui parle de ses procès, de son jardin anglais, de ses parties de chasse, de son avancement, etc., etc. C’est l’intimité la plus complète et la plus tendre ; il la tutoie en présence du mari, et partout.

Un jeune homme de ce pays, et fort ambitieux, à ce qu’il croyait, appelé à une grande place à Vienne (rien moins qu’ambassadeur), n’a pas pu se faire à l’absence. Il a remercié de la place au bout de six mois, et est revenu être heureux dans la loge de son amie.