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Ce sont les gens âgés et les prêtres qui font et font exécuter les lois, cela paraît bien à l’espèce de jalousie comique avec laquelle la volupté est poursuivie dans les îles britanniques. Le peuple y pourrait dire à ses gouvernants comme Diogène à Alexandre : « Contentez-vous de vos sinécures et laissez-moi, du moins, mon soleil[1]. »

À force de lois, de règlements, de contre-règlements et de supplices, le gouvernement a créé en Irlande la pomme de terre, et la population de l’Irlande surpasse de beaucoup celle de la Sicile ; c’est-à-dire l’on a fait venir quelques millions de paysans avilis et hébétés, écrasés de travail et de misère, traînant pendant quarante ou cinquante ans une vie malheureuse sur les marais du vieil Erin, mais payant bien la dîme. Voilà un beau miracle. Avec la religion païenne, ces pauvres diables auraient au moins joui d’un bonheur ; mais pas du tout, il faut adorer saint Patrick.

  1. Voir dans le procès de la feue reine d’Angleterre une liste curieuse des pairs avec les sommes qu’eux et leurs familles reçoivent de l’État. Par exemple, lord Lauderdale et sa famille, 36,000 louis. Le demi-pot de bière, nécessaire à la chétive subsistance du plus pauvre Anglais, paye un sou d’impôt au profit du noble pair. Et, ce qui fait beaucoup à notre objet, ils le savent tous les deux. Dès lors ni le lord ni le paysan n’ont plus assez de loisir pour songer à l’amour, ils aiguisent leurs armes, l’un en public et avec orgueil, l’autre en secret et avec rage (L’Yomanry et les Whiteboys).