Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
DE L’AMOUR

d’estime et de considération autour de lui.

Félicie se dit : « Voilà l’homme qu’il me faut faire semblant d’avoir pour amant. Comme c’est le plus froid de tous, c’est celui dont la passion me fera le plus d’honneur. »

Le Suédois Weilberg était tout à fait ami de la maison. Il y a cinq ans, dans l’été, on arrangea un voyage avec lui et le mari.

Comme c’était un homme de mœurs excessivement sévères, surtout comme il n’était nullement amoureux de Félicie, il la voyait telle qu’elle était, fort laide. D’ailleurs, on ne lui avait pas dit en partant à quoi on le destinait. Le mari, que ces airs ennuyaient, et qui désirait aussi retirer de l’utilité pour lui d’un voyage entrepris pour plaire à sa femme, la plantait là dès qu’ils arrivaient quelque part ; il allait courir les fabriques, il visitait les usines, les mines, en disant à Weilberg : « Gustave, je vous laisse ma femme. »

Weilberg parlait très mal français ; il n’avait jamais lu Rousseau ni Mme de Staël, circonstance admirable pour Félicie.

La petite femme fit donc bien la malade, pour écarter son mari par l’ennui, et pour exciter la pitié du bon jeune homme, avec qui elle restait sans cesse en tête-à-tête.