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taciturne orgueil des hommes dans les romans autrefois célèbres de miss Burney. Comme demander un verre d’eau quand on a soif est vulgaire, les héroïnes de miss Burney ne manquent pas de se laisser mourir de soif. Pour fuir la vulgarité l’on arrive à l’affectation la plus abominable.

Je compare la prudence d’un jeune Anglais de vingt-deux ans riche, à la profonde méfiance du jeune Italien du même âge. L’Italien y est forcé pour sa sûreté, et la dépose, cette méfiance, ou du moins l’oublie, dès qu’il est dans l’intimité, tandis que c’est précisément dans le sein de la société la plus tendre en apparence que l’on voit redoubler la prudence et la hauteur du jeune Anglais. J’ai vu dire : « Depuis sept mois je ne lui parlais pas du voyage à Brighton. » Il s’agissait d’une économie obligée de quatre-vingts louis, et c’était un amant de vingt-deux ans parlant d’une maîtresse, femme mariée qu’il adorait ; mais, dans les transports de sa passion, la prudence ne l’avait pas quitté, bien moins encore, avait-il eu l’abandon de dire à cette maîtresse : « Je n’irai pas à Brighton, parce que cela me gênerait. »

Remarquez que le sort de Gianone, de P., et de cent autres, force l’Italien à la méfiance, tandis que le jeune beau Anglais n’est forcé à la prudence que par l’excès et la sensibi-