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DE L’AMOUR

éclaircissement avec elle, et pour cela de pénétrer dans le château. La timidité, être timide à trente-cinq ans ! la timidité l’en avait longtemps empêché. Ses mesures furent prises avec tout l’esprit possible, et cependant, sans le hasard, qui mit dans la bouche d’un indifférent l’annonce du départ de madame Dayssin, toute l’adresse de Philippe était perdue, ou du moins il n’aurait pu voir l’amour d’Ernestine que dans sa colère. Probablement il aurait expliqué cette colère par l’étonnement de se voir aimée par un homme de son âge. Philippe se serait cru méprisé, et, pour oublier ce sentiment pénible, il eût eu recours au jeu ou aux coulisses de l’opéra, et fût devenu plus égoïste et plus dur en pensant que la jeunesse était tout à fait finie pour lui.

Un demi-monsieur, comme on dit dans le pays, maire d’une commune de la montagne et camarade de Philippe pour la chasse au chamois, consentit à l’amener, sous le déguisement de son domestique, au grand dîner du château de S***, où il fut reconnu par Ernestine.

Ernestine, sentant qu’elle rougissait prodigieusement, eut une idée affreuse : « Il va croire que je l’aime à l’étourdie, sans le connaître ; il me méprisera comme un enfant, il partira pour Paris, il ira rejoin-