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vaient. Il revint tous les jours dans le petit bois, où il avait éprouvé des sensations si vives. Madame Dayssin devant bientôt retourner à Paris, Philippe se fit écrire une lettre et annonça qu’il quittait le Dauphiné pour aller passer quinze jours en Bourgogne auprès d’un oncle malade. Il prit la poste, et fit si bien en revenant par une autre route, qu’il ne se passa qu’un jour sans aller dans le petit bois. Il s’établit à deux lieues du château du comte de S***, dans les solitudes de Crossey, du côté opposé au château de madame Dayssin, et de là, chaque jour, il venait au bord du petit lac. Il y vint trente-trois jours de suite sans y voir Ernestine ; elle ne paraissait plus à l’église ; on disait la messe au château ; il s’en approcha sous un déguisement, et deux fois il eut le bonheur de voir Ernestine. Rien ne lui parut pouvoir égaler l’expression noble et naïve à la fois de ses traits. Il se disait : « Jamais auprès d’une telle femme je ne connaîtrais la satiété. » Ce qui touchait le plus Astézan, c’était l’extrême pâleur d’Ernestine et son air souffrant. J’écrirais dix volumes comme Richardson si j’entreprenais de noter toutes les manières dont un homme, qui d’ailleurs ne manquait pas de sens et d’usage, expliquait l’évanouissement et la tristesse d’Ernestine. Enfin, il résolut d’avoir un