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DE L’AMOUR

que je suis encore un grand fou ! » se dit-il en mettant pied à terre dans la cour du château de madame Dayssin. En entrant au salon, il avait une figure immobile, étonnée, glacée. Il n’aimait plus.

Le lendemain, Philippe se trouva bien vieux en mettant sa cravate. Il n’avait d’abord guère d’envie de faire trois lieues pour aller se blottir dans un fourré, afin de regarder un arbre ; mais il ne se sentit le désir d’aller nulle autre part. « Cela est bien ridicule », se disait-il. Oui, mais ridicule aux yeux de qui ? D’ailleurs, il ne faut jamais manquer à la fortune. Il se mit à écrire une lettre fort bien faite, par laquelle, comme un autre Lindor, il déclarait son nom et ses qualités. Cette lettre si bien faite eut, comme on se le rappelle peut-être, le malheur d’être brûlée sans être lue de personne. Les mots de la lettre que notre héros écrivit en y pensant le moins, la signature Philippe Astézan, eurent seuls l’honneur de la lecture. Malgré de fort beaux raisonnements, notre homme raisonnable n’en était pas moins caché dans son gîte ordinaire au moment où son nom produisit tant d’effet ; il vit l’évanouissement d’Ernestine en ouvrant sa lettre ; son étonnement fut extrême.

Le jour d’après, il fut obligé de s’avouer qu’il était amoureux ; ses actions le prou-