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sur les plantes aquatiques ; il s’embarqua avec elle et se fit conduire vers la partie du lac qui remontait dans le vallon. Comme Ernestine entrait dans la barque, un regard de côté et presque involontaire lui donna la certitude qu’il n’y avait personne auprès du grand chêne ; elle remarqua à peine une partie de l’écorce de l’arbre, d’un gris plus clair que le reste. Deux heures plus tard, quand elle repassa, après la leçon, vis-à-vis le grand chêne, elle frissonna en reconnaissant que ce qu’elle avait pris pour un accident de l’écorce dans l’arbre était la couleur de la veste de chasse de Philippe d’Astézan, qui, depuis deux heures, assis sur une des racines du chêne, était immobile comme s’il eût été mort. En se faisant cette comparaison à elle-même, l’esprit d’Ernestine se servit aussi de ce mot : comme s’il était mort ; il la frappa. « S’il était mort, il n’y aurait plus d’inconvenance à me tant occuper de lui. » Pendant quelques minutes cette supposition fut un prétexte pour se livrer à un amour rendu tout-puissant par la vue de l’objet aimé.

Cette découverte la troubla beaucoup. Le lendemain, dans la soirée, un curé du voisinage, qui était en visite au château, demanda au comte de S… de lui prêter le Moniteur. Pendant que le vieux valet de