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DE L’AMOUR

être observée, ramasser la lettre fatale. De longtemps il ne lui fut pas possible de la lire, car sa gouvernante la fit asseoir et ne la quitta plus. Le botaniste appela un ouvrier occupé dans les champs, qui alla chercher la voiture au château. Ernestine, pour se dispenser de répondre aux réflexions sur son accident, feignit de ne pouvoir parler ; un mal à la tête affreux lui servit de prétexte pour tenir son mouchoir sur ses yeux. La voiture arriva. Plus livrée à elle-même, une fois qu’elle y fut placée, on ne saurait décrire la douleur déchirante qui pénétra son âme pendant le temps qu’il fallut à la voiture pour revenir au château. Ce qu’il y avait de plus affreux dans son état, c’est qu’elle était obligée de se mépriser elle-même. La lettre fatale qu’elle sentait dans son mouchoir lui brûlait la main. La nuit vint pendant qu’on la ramenait au château ; elle put ouvrir les yeux, sans qu’on la remarquât. La vue des étoiles si brillantes, pendant une belle nuit du midi de la France, la consola un peu. Tout en éprouvant les effets de ces mouvements de passion, la simplicité de son âge était bien loin de pouvoir s’en rendre compte. Ernestine dut le premier moment de répit, après deux heures de la douleur morale la plus atroce, à une résolution courageuse. « Je ne lirai pas cette lettre dont