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DE L’AMOUR

brillante de joie, la pauvre petite ! Elle semblait voler sur le gazon et non pas marcher. Le vieux botaniste, qui était de la promenade, en fit faire l’observation à la femme de chambre, comme elle s’éloignait d’eux en courant.

Tout le bonheur d’Ernestine disparut en un clin d’œil. Ce n’est pas qu’elle ne trouvât un bouquet dans le creux de l’arbre ; il était charmant et très frais, ce qui lui fit d’abord un vif plaisir. Il n’y avait donc pas longtemps que son ami s’était trouvé précisément à la même place qu’elle. Elle chercha sur le gazon quelques traces de ses pas ; ce qui la charma encore, c’est qu’au lieu d’un simple petit morceau de papier écrit, il y avait un billet, et un long billet. Elle vola à la signature ; elle avait besoin de savoir son nom de baptême. Elle lut ; le lettre lui tomba des mains, ainsi que le bouquet. Un frisson mortel s’empara d’elle. Elle avait lu au bas du billet le nom de Philippe Astézan. Or M. Astézan était connu dans le château du comte de S… pour être l’amant de madame Dayssin, femme de Paris fort riche, fort élégante, qui venait tous les ans scandaliser la province en osant passer quatre mois seule, dans son château, avec un homme qui n’était pas son mari. Pour comble de douleur, elle était veuve, jeune, jolie, et pouvait épouser