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remarqué qu’elle apercevait spontanément toutes les conséquences d’une idée. Le bon vieillard avait coutume, lorsqu’il était dans ses jours de gaieté, et la gouvernante avait remarqué que cette plaisanterie en était le signe indubitable, il avait coutume, dis-je, de plaisanter son Ernestine sur ce qu’il appelait son coup d’œil militaire. C’est peut-être cette qualité qui, plus tard, lorsqu’elle a paru dans le monde et qu’elle a osé parler, lui a fait jouer un rôle si brillant. Mais, à l’époque dont nous nous entretenons, Ernestine, malgré son esprit, s’embrouilla tout à fait dans ses raisonnements. Vingt fois elle fut sur le point de ne pas aller se promener du côté de l’arbre : « Une seule étourderie, se disait-elle, annonçant l’enfantillage d’une petite fille, peut me perdre dans l’esprit de mon ami. » Mais, malgré les arguments extrêmement subtils, et où elle employait toute la force de sa tête, elle ne possédait pas encore l’art si difficile de dominer ses passions par son esprit. L’amour dont la pauvre fille était transportée à son insu faussait tous ses raisonnements et ne l’engagea que trop tôt, pour son bonheur, à s’acheminer vers l’arbre fatal. Après bien des hésitations, elle s’y trouva avec sa femme de chambre vers une heure. Elle s’éloigna de cette femme et s’approcha de l’arbre,