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DE L’AMOUR

d’un prix si ridicule ? Quoi de plus absurde que d’afficher ainsi les goûts d’une bonne ménagère ; car c’est ce que veulent dire ces ciseaux, cet étui, ce dé, que l’on porte sans cesse avec soi ; et la bonne ménagère ne pense pas que ce bijou coûte chaque année l’intérêt de son prix. » Elle se mit à calculer sérieusement et trouva que ce bijou coûtait près de cinquante francs par an.

Cette belle réflexion d’économie domestique, qu’Ernestine devait à l’éducation très forte qu’elle avait reçue d’un conspirateur caché pendant plusieurs années au château de son oncle, cette réflexion, dis-je, ne fit qu’éloigner la difficulté. Quand elle eut renfermé dans sa commode le bijou d’un prix ridicule, il fallut bien revenir à cette question embarrassante : Que faut-il faire pour ne pas perdre l’estime d’un homme d’autant d’esprit ?

Les méditations d’Ernestine (que le lecteur aura peut-être reconnues pour être tout simplement la cinquième période de la naissance de l’amour) nous conduiraient fort loin. Cette jeune fille avait un esprit juste, pénétrant, vif comme l’air de ses montagnes. Son oncle, qui avait eu de l’esprit jadis, et à qui il en restait encore sur les deux ou trois sujets qui l’intéressaient depuis longtemps, son oncle avait